De retour en Californie

Ayant reçu 1 invitation de notre ancien professeur, M Nghiêm Phú Phi, me voici de nouveau en Californie, à l’occasion d’ une réunion d’anciens élèves du Conservatoire de Musique de Saigon. Mon dernier voyage remonte à 10 ans auparavant. A la descente d’avion, je ressens une impression de bien être . Nous sommes loin de la torpeur de l’été parisien. Il fait frais ici, c’est agréable, le cadre est familier . Autour de moi, que des visages asiatiques … Est-ce des vietnamiens, des chinois, ou des japonais? Je suis le flot des passagers pour m’avancer vers l’intérieur. Le haut parleur est en train de diffuser un message à la fois en chinois et en vietnamien, à l’intention des passagers en transit. Arrivée à la bagagerie, je crois me retrouver à l’aéroport de Tân Son Nhut au Vietnam, le jour où j’ai quitté mon pays, avant la chute de Saigon .

Cela fait presque 30 ans que je suis en France . J’ai déjà eu quelques occasions d’aller aux Etats Unis, par l’intermédiaire du père Ngô Duy Linh , qui tenait beaucoup à initier les enfants à la cithare vietnamienne. Je donnais mes cours tantôt à New Orleans tantôt à Arlington (Texas).

View image: (photo site catruong.com)

A vrai dire, cela ne me disait rien d’aller aux Etats Unis , mais le père insistait tellement et ‘me forçait ‘ presque à y aller . Chaque fois que je me présente à l’ambassade des E.U. pour demander le visa, je ressens une sorte de mécontentement intérieur : cela m’agace de voir des soldats américains tenant la garde à chaque porte de cet immeuble . Cela me rappelle la guerre et l’ immense exode qu ‘on n’ ait jamais vu dans l’histoire de mon pays . En arrivant dans les Etats qui ont accepté des Vietnamiens, j’étais mal à l’aise . Certains de nos compatriotes étaient-ils devenus prétentieux ? Ils vivaient à l’américaine, consommaient à l’ américaine, et oubliaient qu ‘ils n’étaient que des étrangers dans un pays d’accueil , des demandeurs d’asile. Cela m’attristait, je n’avais pas oublié l’humiliation de n’ avoir plus de patrie .

Dans le courant de l’été 93, après mon cours à Arlington, je me suis arrêtée à Orange County , en Californie, quelques jours pour revoir des amis. Comme je l’ai dit plus haut, les Vietnamiens à l’époque m’avaient déçue. Les familles ne gardaient plus les coutumes, les enfants s’exprimaient uniquement en anglais, la façon de s’habiller était trop occidentalisée. On ne voyait que des Vietnamiens dans les rues d’Orange County. De retour à Paris, j’avais décidé que les Etats Unis ne pourraient plus jamais m’attirer.

Le temps passe… Les Etats Unis ne m’inspirent toujours pas , mais cette fois-ci mon professeur m’attend, je lui ai promis de venir… Mon planning a bien été arrêté depuis un an pour cet événement . Je ne me suis résolue à prendre mon billet qu’au dernier moment , 2 semaines avant le départ. Le trajet Paris- Londres-Los Angeles s’est fait en douceur, malgré les 12h de vol par la British Airways. Après avoir pris mes bagages, je me mets à chercher la sortie. Mon ami Nguy?n ??c Quang est-il là, est-il à l’heure ? Autour de moi, que des Vietnamiens , ils viennent chercher leurs proches. Au bout d’un moment, un monsieur souriant  me reconnaît :" Je cherchais une dame d’un certain âge, qui a probablement une canne avec elle , mais … tu n’es pas aussi vieille que je ne le pensais ! Toujours alerte et espiègle comme avant, malgré tes 60 ‘balais ! "

-"J’étais inquiète ! J’ai atterri dans un endroit inconnu, et j’ai oublié d’emmener avec moi ton numéro de téléphone et ton adresse ! Et si jamais tu ne viens pas , qu ‘est-ce que je deviendrai ? "
De l’aéroport, nous arrivons chez Quang au bout de 40 mn de voiture. Thông, son épouse, de retour du travail, prépare le dîner. Quang prend le téléphone: "Thang cu" (*),veux- tu venir manger avec papy? Papy? Je crois avoir mal entendu. Je réalise soudain que mon ancien copain du Conservatoire a changé de ‘statut’, il est grand père maintenant! En effet, mes enfants eux aussi sont devenus adultes . C’est normal que Quang soit devenu papy !

(*) petit garçon, terme familier.

Après le dîner, le frère de Thông me conduit chez M. et Mme Nghiêm Phú Phi. Sont déjà présents: – Tr?n L?c, professeur de violon à Saigon – Khuê (guitare) – H?ng, professeur de violon émérite à Orange County – Et le couple Tr?n Kim Quý, surnommé “génies tortue Kim Quy (*)", responsables de l’art théâtral. -“Que désirez-vous pour le dîner, je vais faire les courses…” nous demande notre prof. Faire les courses? Il est déjà 21h passées, je suis étonnée… En fait, il suffit de passer commande par téléphone et d’aller chercher les plats. C’est bien pratique, le modernisme. Pas de cuisine à faire… Bien installée dans mon fauteuil, je me sens cependant dans les nuages à cause du décalage horaire. Je demande à mes professeurs la permission de rentrer me reposer.

(*) Kim Quy : tortue en or, selon la légende vietnamienne.

Mercredi matin: Quang m’emmène manger du “pho? “ dans un restaurant en ville. Je suis étonnée: la façon de servir le ph? ici est différente, les morceaux de poulet sont mis dans une assiette, à part, accompagnés d’ un bol de sauce de nu?c m?m préparée. Cela ressemble à du poulet cuit à l’eau. Quang m’explique que c’est le meilleur restaurant du coin, et il m’y a déjà invitée 10 ans auparavant… Je le suis ensuite dans un café, dont je ne me rappelle plus le nom. Dès qu’on s’est installés , les copains journalistes de Quang arrivent et bavardent avec entrain. C’est bien réjouissant. Cela fait très longtemps que je n’ai pas l’occasion de jouer à la petite fille dont le "papy " emmène prendre le petit déj’ en dehors de la maison. Deux monsieurs d’un certain âge s’avancent vers nous. “Ah, ce sont Ngô M?nh Thu et Hoàng Qu?c B?o, de la revue Ng??i Vi?t.” Cela fait déjà 30 ans…Thu était chef du groupe ‘Du Ca’ (groupe de chant itinérant) et aussi chef de ma troupe , lorsque je chantais à la radio sud vietnamienne à l’âge de 15, 16 ans. B?o nous raconte que c’était lui qui avait organisé , avec le musicien V? Thành An, la nuit “faculté de lettres” en 63 à Saigon à la fac de lettres. Ce soir-là, j’avais “envoûté “ les auditeurs en chantant des chansons traditionnelles. Je m’accompagnais à la guitare. C’est à partir de cette période que le mouvement de chant traditionnel s’était propagé dans le milieu des étudiants et collégiens de Saigon. J’avais étonné les spectateurs , car aucune jeune fille n’avait chanté ainsi à l’époque, accompagnée par elle-même à la guitare . En plus, ces chansons n’étaient pas encore très connues…

. Une photo prise à Dalat: View image

 J’écoute avec plaisir mes aînés raconter les histoires d’autrefois. Les souvenirs de nos activités artistiques me reviennent à l’esprit , je me demande pourquoi j’avais pu être aussi “active “ … Ensuite, Quang ramène la "petite fille" que je suis au "village", la maison d’édition de la revue "Ngu?i Vi?t", pour revoir toute la "tribu". A l’arrivée, je rencontre le couple } ?? Ng?c Y?n, ?? Quí Toàn et d’autres amis. C’est à la fois gai et émouvant, l’amitié qu’on m’avait témoignée est toujours intacte. Ce qui me fait le plus plaisir, c’est de revoir Minh Phú, l’ une des participantes du groupe Ph??ng Ca d’autrefois, et H?ng Vân, une ancienne Ph??ng Ca de Paris. Les "petites" sont surprises et ravies de me retrouver ici. A partir de maintenant, Quang peut "chômer ", je ne rentre plus chez Quang et sa femme, je me déplace d’un endroit à l’autre pour retrouver mes amies. Tous les jours, je téléphone à Quang pour dire mes déplacements, ainsi qu’ à M. Phi, mon professeur. De la sorte, Quang peut raconter à mon mari mon emploi du temps ici par téléphone.

 Le lendemain, Quyên m’emmène visiter le jardin L?c Uy?n. Le panorama est grandiose. Le chemin qui mène du pied de la montagne au centre de Zen est interminable, la grande allée bordée de bels arbres ombragés. Ils ont vraiment de la chance ici, de pouvoir pratiquer la marche méditative dans un décor si féérique. La Californie des Vietnamiens, à mes yeux, n’est plus comme ce qu’elle était 10 ans auparavant, c’est devenu une région accueillante, agréable. La plupart de mes amis vont maintenant à la pagode, prennent des repas végétariens, ou encore, vont à l’église. A chacun sa façon de se consacrer à la religion, mais dans l’ensemble, cette aspiration vers la spiritualité semble rendre les gens plus avenants, plus pacifiques, plus humanistes.

Les réfugiés Vietnamiens ont finalement contribué à apporter une certaine spiritualité à leur terre d’accueil. La Californie, territoire immense, semble avoir charmé les Vietnamiens, et l’on peut dire, à la manière des chansons populaires, " que ceux qui sont venus ne veulent plus en repartir "…. Mes amis ont tous des arbres fruitiers dans leur jardin: ils ont des fruits du dragon, des plaqueminiers (kakis), des goyaves -la variété ‘xá lị’- et des longanes. Même dans un jardin modeste, on peut retrouver un beau pamplemoussier comme chez nous. Chez mes hôtes Quang et Thông, je cueille tous les matins des jujubes, qui se trouvent juste à la sortie de ma chambre, avant de commencer ma journée de "vagabondage". Dès le réveil, après avoir dit bonjour au père de Thông, je file tout de suite chez mes amis, parfois sans rentrer me coucher. Il me demande, chaque fois qu ‘il me voit, si je ne suis pas trop fatiguée. Je lui souris sans répondre, je suis si heureuse de retrouver mes amis (non, je ne ressens aucune fatigue). Mais, à la longue, je finis par m’ essouffler et le père de mes hôtes me voit rentrer plus souvent .

Les 2 derniers jours, Quyên m’emmène faire du Qi Cong. On commence dès 6h du matin, la séance dure 1h30, salle « H?ng Khí Quy?n ». Sans doute ne parviens-je pas encore à respirer selon la bonne méthode, parce que mes muscles se mettent à trembler un peu au 6è exercice. Le samedi, vers midi, les anciens collègues viennent me voir. Quang me les présente de nouveau, car j’ai du mal à les reconnaître après tant d’années. Les grand-parents qu’ils sont devenus se mettent à bavarder à coeur joie. Et le plat de bún ch? de notre hôtesse est délicieux. Je suis comblée. Un bémol à la fête: Hoài, garçon d’honneur lors de mon mariage, qui avait été alité, tétraplégique pendant plusieurs années, a trépassé la veille, la cinquantaine tout juste dépassée.

 Le samedi après midi, le couple Ruy vient me chercher pour la messe. L’église immense et le déroulement différent de la messe ici ajoutent à mon dépaysement . Ensuite, démonstration de l’ apprentissage de la cithare aux enfants de moins de 3 ans, à Quyên et sa petite Trúc. La maman aimerait diffuser la méthode, mais je manque de temps: J’ai encore une séance de pose avec des photographes viets en présence d’un professionnel américain .

Dimanche après midi: réunion des anciens du Conservatoire de Saigon. Je retrouve les chanteuses Quynh Giao, Mai H??ng, d’autres amis et d’autres professeurs. Nous nous remémorons le passé. M. et Mme Phi ont préparé les encens, pour que nous puissions tous nous recueillir à la mémoire des amis disparus. Nous avons aussi une pensée pour nos anciens professeurs, vivant dans la misère au pays natal. J’espère qu’il y aura un de ces jours des retrouvailles à Paris, avec des amis et des professeurs habitant en France et dans les pays voisins.

Lundi soir: Dîner japonais avant la visite à Monterey Park. Je suis embarrassée devant tant de plats exposés. Ce sera du gaspi. Je choisis finalement le poisson cru, les beignets de crevettes, le crabe sauté, et d’autres spécialités. Les restaurants japonais ne manquent pas en France, mais ici, tout est démesuré. Le territoire est immense, et les enfants vietnamiens qui ont grandi aux Etats Unis sont immenses aussi. La petite fille de Ruy, qui a 4 ans, a l’allure d’une enfant de 6, 8 ans. Il paraît qu’elle se nourrit de Coca… Après le dîner, Thu m’emmène visiter le centre de Zen Sung Chinh, tenu par des bonzesses. C’est une visite surprise. L’heure est tardive. Je compte vite repartir retrouver ch? Thân, mais les bonzesses ont préparé le thé, elles sont si accueillantes. Le couple Diem Chi venant du Texas, est là avec d’autres amis.

Je repars du centre, accompagnée par la petite-fille de Thu, dans un certain état ‘d’ivresse’ dû aux retrouvailles et au décalage horaire… Dans l’avion qui me ramène en France, j’essaie de dormir pour pouvoir préparer un retour chargé: la rentrée, les réunions, la prochaine représentation en Hollande pour l’association des médecins en Hollande, dont les bénéfices permettront d’aider le Vietnam. Tous ces projets enthousiastes tournoient dans ma petite tête et me font oublier les recommandations du ‘Papy’: -Sois sérieuse, ma petite, pense à ta santé, la prochaine fois, je ne te permettrai pas d’en faire autant…

Phuong Oanh

Automne 2003

Ce contenu a été publié dans Français. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.