Maman chérie

    Ainsi donc à partir de maintenant, je n’ai plus de moyen pour te parler à nouveau maman chérie, comme je ne pourrai plus avoir l’occasion de te revoir au Vietnam. Le temps passe si vite, quand le téléphone a sonné depuis le pays annonçant ton décès, à 11h du matin le 04/07/2001, soit le 14ème jour du 5ème mois de l’année Tân Tỵ du calendrier lunaire. Quand j’ai reçu la nouvelle, mon cœur a chaviré, ivre comme si je viens de boire un verre d’alcool. J’ai du mal à expliquer mes sentiments à ce moment là, un mélange de joie et de tristesse.

    – Heureuse de te voir enfin libérée de ta maladie incurable, qui t’a clouée au lit sans pouvoir bouger depuis des années.

    – Triste car je sais que je ne pourrai plus jamais te prendre dans mes bras, te câlinant comme ces dernières années quand j’avais encore la chance de te retrouver au pays.

    Apprenant la nouvelle, je n’ai même pas eu le temps de demander un visa pour rentrer au pays, que tu es déjà enterrée à côté de papa deux jours après. J’ai beaucoup pleuré, pensant à la mort de papa, déjà ses enfants n’ont pas pu être présents à ses côtés à cause de la guerre, que maintenant c’est à ton tour de nous quitter, et tu n’as même pas pu revoir tes filles une dernière fois… Je te parle toujours tout doucement dans mon esprit, j’attends toujours l’occasion de pouvoir rentrer au pays, pour voir ton tombeau s’il est bien gardé, lieu de ton repos éternel.

    Dominique Hardy m’a appelée de Strasbourg, elle m’a dit que son groupe de théâtre va partir à Saigon dans le cadre de la recherche sur le « Cải Lương » pendant deux semaines et qu’elle a besoin de ma présence. Maman, je suis très heureuse, par quel hasard, mes vœux sont exaucés car je pourrai rendre visite à toi et papa. C’est une chance, peut-être que tu m’aimes et que tu m’as donnée cette occasion de rentrer, car sept mois ont passé depuis ta disparition….

    En janvier 2002 à Saigon, j’ai été interprète pour nos amis Français sur le « cải lương » en  allant rendre visite à sœur Phùng Há à la pagode des Artistes, ou en rencontrant la journaliste Kim Cúc, en observant les répétitions des jeunes artistes au théâtre Trần Hữu Trang, ou en allant rendre visite à l’école de formation des acteurs rue Cống Quỳnh, puis en allant voir du « cải lương » au théâtre Hưng Đạo, en assistant à une pièce de théâtre au centre d’échange culturelle Franco–Vietnamien. Malgré mes obligations, tous les jours je demande à Quang, le fils à frère Minh d’être mon chauffeur pour rendre visite à papa et à toi, allumant des encens et assise devant vos tombeaux, pour me sentir près de vous chaque jour….

    Les années se succèdent, deux ans se sont passés très vite, je n’ai toujours pas le courage d’écrire sur toi maman, malgré que les sujets abondent et que j’ai une grande envie de les retracer pour que tes petits-enfants te connaissent mieux.

    Maman, il y a quelques jours quelqu’un m’a demandé d’animer une soirée musicale pour fêter l’âge de ses parents et de leurs 50 ans de mariage. La dame m’a confié que sa mère est de Hanoi, son père, de Corse, et qu’ils ont six enfants. Dans cette soirée, elle a voulu offrir à sa mère un cadeau surprise par cette représentation de la musique traditionnelle vietnamienne. 

    Maman, quand j’ai entendu cette dame parler, j’ai pensé à toi et à papa, j’ai été heureuse pour cette amie qui a encore le bonheur d’avoir ses parents, j’ai accepté la proposition, et c’est une soirée très spéciale car je n’ai jamais encore joué dans un restaurant. L’inspiration sur l’amour filial m’a donnée l’idée de préparer un programme dont le thème principal est l’amour et les devoirs filiaux. Les invités furent nombreux et vinrent de tous les pays, seuls quatre Vietnamiens étaient présents, c’étaient les frères et sœurs de la maman. Quand le programme a débuté, j’ai demandé la permission à tous, de parler en Vietnamien à la maman, et mes paroles furent comme si elles étaient adressées à toi et à papa. Dans cette anniversaire de l’âge, j’ai pensé à vous, à travers ce vieux couple. Ma fille, Như Lan a joué de la musique avec moi,  elle  pouvait comprendre ainsi à l’occasion de cette fête des parents, ce qu ‘est le bonheur  familial .

    En regardant leurs cheveux tout blancs, leur santé encore bonne malgré leurs 80 ans passés, j’ai chanté et joué des morceaux de musique relatant le mérite des parents d’avoir mis au monde des enfants, leur amour envers eux et le devoir des enfants envers les parents. Dans la société actuelle, ces images sont devenues bien rares; avec une vie trépidante, courant derrière la montre, et l’argent, les gens ont perdu tout sentiment envers leurs parents, leur famille, leurs enfants.

    Après la représentation, on nous a invité à participer à la fête, mais j’ai refusé car j’ai voulu que cette famille garde leur intimité, nous sommes allées  ma fille, une amie et moi, dîner dans un autre restaurant car il était déjà 21h. Il  faisait tard quand on est rentré à la maison, j’ai gardé l’inspiration pour noter quelques mots comme d’habitude. J’ai essayé de prendre tout mon courage pour t’écrire maman, mes larmes coulent, car je n’ose toujours pas accepter la réalité de ton départ….Ces deux années, à chaque anniversaire de la mort de papa et de toi, à chaque fois qu’on m’agrafe une fleur blanche sur la poitrine, j’éclate en pleurs car je sais que je vous ai perdus dans ce monde. A ces moments, Như Lan a été toujours là à me prendre dans ses bras, me consolant comme je te l’ai faite à chaque fois que j’ai pu être auprès de toi maman.

    Maman, quand je me suis mariée, tu avais encore des cheveux noirs, malgré tes 60 ans, cette image est toujours vivante dans mon cœur. En 1989, quand on a préparé ton hébergement pour que tu puisses venir nous rendre visite, voir tes petits-enfants, j’ai toujours en souvenir ton allure dégagée, tranquille d’une vieille dame à la porte de sortie de l’aéroport, je ne t’ai pas reconnue car tu as changé. Tu étais si maigre, dans ton « áo dài » de velours noir doublé de coton, un châle de couleur foncée autour de l’épaule, la main tenant un sac de chiques de bétel, sans quoi ta main ne se tient pas tranquille, tu disais. Ma voix s’est étranglée car je n’ai pas reconnu ton image avant que je quitte le pays. Mais  quelque chose en moi qui me disait que cette vieille dame est ma mère. Malgré tes 80 ans passés, tu étais encore en pleine forme, avec une démarche facile, cependant ton dos commencait à se voûter. Nous avions voulu te garder en France, tu n’avais pas voulu car tu n’aurais pas la même vie ici qu’au pays, tu ne pourrais pas rendre visite aux voisins, tu ne pourrais pas sortir manger quand tu veux, tu devrais rester constamment à la maison, tu ne pourrais pas élever ta voix (tu avais une voix résonante, tu chantais très bien) et tu disais qu’ici, tu ne pourrais rien faire, tu serais très triste.

    Maman avant que nous nous ayons décidé de te faire venir, tes quatre filles se sont mises d’accord,  de partager chacune son temps pour être avec toi, il y avait toujours une qui était là pour s’occuper de toi et pourtant tu te plaignains d’être triste,;je me demande combien est la solitude des autres personnes âgées ici, quand leurs enfants les quittent à l’âge adulte, ne pouvant pas s’occuper d’eux et les délaissant dans des maisons de retraite ?.

    Les trois mois se sont écoulés très vite, quand est arrivé le moment de rentrer au Vietnam, tu as exprimé le désir de rester encore, mais quand nous voulions aller prolonger le visa, tu t’es souvenue de frère Minh et tu voulais de nouveau rentrer. Tes enfants t’ont alors donné rendez-vous, te promettant de rentrer te rendre visite au pays régulièrement comme tu leur as demandé…

    En 1995, pour la première fois après 20 ans d’absence, je suis rentrée au Vietnam alors que tu étais gravement malade. Pendant près d’un mois, tu as dormi chaque nuit dans mes bras, à ce moment tu es encore vaillante, tu as encore tes dents pour manger, malgré que certaines ont commencé à bouger, certaines se sont mises de travers. Như Lan n’a que 11 ans à l’époque, toutes les nuits elle ‘adore’ être à côté de sa grande-mère maternelle, pour l’entendre ‘ronfler’ et l’aérer avec un éventail. Puis chaque année, j’ai cherché à rentrer au pays par mon travail, et ainsi avoir l’occasion de te revoir, pour te serrer dans mes bras vaillants, te consoler, ‘ma petite maman’ ‘doit être gentille’ pour que sa fille lui comble de bonheur.

    Tu vieillis de plus en plus chaque année, ton corps commence de plus en plus à vaciller, ta mémoire se perd, tu répètes tout le temps la même histoire des dizaines et des dizaines de fois chaque jour sans finir. Ainsi par habitude, quand cela arrive, tes petits-enfants et tes arrières-petits-enfants t’entourent et te répétant l’histoire, pour entendre tes rires de contentement, jusqu’à fermer tes yeux, la bouche grande ouverte et édentée.

    Maman chérie, je me souviens encore du passé, vers l’âge de quinze, seize ans, j’ai habité avec toi et papa à Quang Trung. Chaque matin, tu te réveilles très tôt, faisant cuire du riz, grillant des poissons à la sauce ‘nước mắm’ et citron, préparant ainsi le petit-déjeuner pour tes enfants avant qu’ils aillent à l’école. Debout à côté de toi, ton visage si aimable brûlé par le soleil, tu ne cesses tous les jours de t’occuper des affaires domestiques, sans jamais te plaindre des difficultés, t’occupant de tes enfants avec amour. Assise nous regardant manger, moi et grande sœur Tâm, tu n’as pas oublié d’emballer du manger pour que nous l’emportons, nous allons en vélo à l’école de Quang Trung jusqu’à Saigon. A midi, les deux sœurs mangent le manger emporté dans le jardin Tao Đàn, à ce moment j’ai rêvé qu’à une chose ‘si notre maison ne se trouve pas si loin’. Après une période de difficultés, nous avons pu déménager rue Phan Đình Phùng dans le 3ème arrondissement, c’est à ce moment là que je n’ai plus été cycliste sur l’axe ‘Quang Trung-Saigon’ chaque jour…

    Puis plus loin dans le passé, quand moi, grand-frère Phát et petit-frère Đạt nous avons eu à peine 7, 8, 6 ans, tu n’as pas été souvent à la maison car par ton travail de marchande tu t’es trouvée au loin, grande sœur Cúc a dû te remplacer pour s’occuper de nous, je m’en souviens sans cesse, notre enfance a manqué de ta présence, chaque soir après l’école, après les bains et avant le dîner, tous les trois nous sommes allés à la rue principale, regardant passer les voitures, espérant qu’un pousse-pousse te ramène vers nous, ce manque m’a toujours obsédée, marquée jusqu’à maintenant…

    Puis je me suis mariée, et ici en France, je suis souvent absente du foyer à cause de mes déplacements pour des représentations, mais maintenant les moyens de communications se sont très développés, c’est une bonne chose pour moi. Alors quand je suis absente, j’ai pu téléphoner à tes petits-enfants pour leur donner de mes nouvelles, pour qu’ils puissent entendre ma voix, leur racontant les détails de mon travail de chaque jour. Mais avant l’apparition du téléphone mobile, alors parfois dans des endroits sans téléphone comme dans les bois, à la mer, j’ai été triste car je n’ai pas pu joindre ma famille. Et je crois que mes enfants eux aussi attendent de mes nouvelles comme j’ai attendu des tiennes quand j’ai été petite fille.

    Une fois, quand Như Lan a eu un an, j’ai dû partir pour la Nouvelle Orléans aux Etats-Unis pendant un mois pour enseigner, grande sœur Cúc m’a remplacée pour s’occuper de mes enfants comme elle t’a remplacée pour s’occuper de moi dans le passé. Tous les jours quand ma fille se réveille et avant qu’elle va au lit, j’ai téléphoné à la maison pour donner de mes nouvelles. Grande sœur Cúc m’a dit quand elle entend ma voix, ma fille au début m’a cherchée des yeux. Puis après elle a compris que je lui parle à travers le téléphone, alors à chaque sonnerie, elle a marché à quatre pattes vers le téléphone, elle le prend et le ‘croque’ avec sa bouche comprenant que sa mère est là…

    Je m’en souviens encore très bien de ce manque de ta présence dans mon enfance alors je me montre très compréhensive envers les enfants qui manque très tôt la présence de leurs parents. Quand Như Lan a eu 3 ans, elle commence à savoir parler, je me suis apprêtée à aller enseigner dans l’Etat du Texas, quand je dois m’absenter longtemps, j’ai toujours préparé l’esprit de mes enfants à cela en leur disant plusieurs jours à l’avance que je serai absente. Như Lan s’est affolée en se serrant fort dans ses bras, fébrile comme si elle va subir une torture ‘maman, maman, ne me quitte pas’, mon fils quant à lui il est triste, ne prononçant aucune parole, serrant sa petite soeur pour l’éloigner de moi.
     
    L’image de mon fils Long serrant sa petite sœur en train de pleurer, me rappelle mon enfance, quand tu t’en es allée ‘à la dérobée’, car tes enfants n’ont pas voulu que tu les quittes, mais tu t’en vas quand même sans une parole de recommandation envers eux. As-tu su maman que tu nous as manqués beaucoup tous les soirs ?….

    Alors j’ai refusé ce voyage. Dans les quatre années qui suivent, j’ai toujours refusé d’aller enseigner loin pour rester au foyer auprès de mes enfants puis j’ai repris mes fonctions progressivement après, et à une condition que ma fille m’accompagne quand je dois aller loin.

    Maman chérie, deux années ont passé, si tu es encore en vie tu auras 98 ans déjà. Maintenant quand je veux te rencontrer, je ne sais que prier et te parler tout doucement dans mon cœur. Ta photo avec papa prise à l’occasion de mon mariage, je l’ai agrandie et l’ai mise dans le salon, ainsi, je peux vous voir me sourire chaque jour, chaque seconde.

    Maintenant tu n’es plus là, mais tu vis toujours dans mon cœur. Je ne m’empresse plus comme chaque année à l’occasion des vacances, maintenant, rentrer au Vietnam ou non n’est plus une question importante pour moi. Et je n’ai pas non plus de regrets car j’ai pu créer l’occasion pour que tu puisses voir tes petits-enfants, comme j’ai pu te prendre dans mes bras, la nuit dormant à côté de toi pour m’occuper de ton sommeil parfois difficile dans tes dernière années d’âge avancé et de faiblesse physique, ce fût peu mais il vaut mieux peu que rien du tout. Aujourd’hui j’ai rechanté la chanson ‘Lòng Mẹ’ du musicien Y Vân, chaque lettre, chaque mot, chaque note sont comme du miel coulant dans ma gorge, j’ai ressenti que le musicien a laissé une chanson merveilleuse célébrant le cœur d’une mère. Surtout que maintenant, je suis aussi une mère, dans une rôle de mère alors je comprends profondément les sentiments d’amour et les préoccupations des parents envers leurs enfants…

 

        Lòng mẹ bao la như biển Thái Bình dạc dào
        Tình mẹ tha thiết như vầng trăng tròn ngọt ngào
        Lời mẹ êm ái như đồng lúa chiều rì rào
        Tiếng ru êm đềm theo dần năm tháng mẹ yêu…
        Thương con, thao thức bao đêm trường
        Con đã yên giấc, mẹ hiền vui sướng biết bao
        Thương con, khuya sớm bao tháng ngày
        Lặn lội treo neo, nuôi con tới ngày lớn khôn
        Dù cho mưa gió không quản tháng ngày mẹ hiền
        Dầm mưa giải nắng cho bạc mái đầu buồn phiền…

 

    Quand ma fille est encore petite, à chaque fois que je vais enseigner loin, dans le train, je lui écris beaucoup de poèmes. Une fois, il y a une représentation à son école, mais je n’ai pas été là. J’ai demandé à grande sœur Cúc de me remplacer. Quand je suis rentrée, ma fille m’a confiée :

    -Maman, aujourd’hui il y a représentation, l’école est pleine de monde, il y a beaucoup de mamans, mais tu n’as pas été là.

    A l’entendre parler ainsi naïvement, mon cœur s’est serré, j’ai eu pitié de ta petite-fille, n’est ce pas maman.

    Je suis une mauvaise fille n’est ce pas maman, car c’est seulement maintenant que j’ose écrire quelques mots pour toi, ne me querelle pas maman, de temps en temps j’évoquerai encore des souvenirs, des images que de ton vivant tu nous as laissés.

    Je t’embrasse et j’espère que papa lira aussi cette lettre à côté de toi.

 

                                                        Phương Oanh.

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